RÉCITS DE RÉSISTANCE ALIMENTAIRE
Nos modes de production et d’alimentation ont un impact profond sur nos modes de vie, aux répercussions à la fois économiques, sociales et bien sûr environnementales. Comment alors s’émanciper d’un système agro-alimentaire dominant qu’il est urgent de remettre en question ?
Dans ce contexte actuel de crise et face à une nouvelle visibilisation et une importance accrue de ces questions, le collectif Enoki a souhaité donner la parole à des auteurs d’initiatives engagées, porteurs de nouvelles formes de résistance alimentaire.
Maraîchers, artistes, fermiers-urbains, associations, chercheurs, fondateurs de commerces coopératifs … basés en France et à l’international, ces dissidents nous racontent pourquoi et comment il est possible de proposer des systèmes et réseaux alternatifs.
RECIT DE RESISTANCE ALIMENTAIRE 1
Benjamin SOULARD, maraîcher en Agriculture Biologique installé près de Dreux.
En cette période où les systèmes de production agricole intensive et le secteur du transport se retrouvent fortement perturbés, nous avons échangé avec Benjamin sur la résilience qu’offrent le maraîchage diversifié et les circuits de distribution locaux comme celui des AMAP. Alternant les cultures à récolter, Benjamin emploie en moyenne trois personnes à l’année: “Cultiver en polyculture n’implique pas de gros chantiers de récolte, le besoin en main d’œuvre reste constant et gérable, contrairement aux grandes monocultures qui font actuellement face à une pénurie de main d’oeuvre essentiellement étrangère”. Benjamin peut également s’adapter à la fermeture des marchés notamment, pour proposer d’autres modes et points de distribution via la vente en circuit court et les AMAP. “Cela permet de conserver une certaine autonomie dans l’approvisionnement des consommateurs, avec une dépendance bien moindre vis à vis du transport routier, tout en sécurisant en grand partie l’écoulement de ma production sur une année.” Benjamin fournit en légumes et oeufs bio l’AMAP de Paris XIIIe et l’AMAP de Dreux et propose en ce moment des plants sur le marché de Chartres.
RECIT DE RESISTANCE ALIMENTAIRE 2
Michael LEUNG, chercheur et graphiste basé à Hong Kong.
Après des études en design, Michael Leung effectue un PhD à la School of Creative Media de la Hong Kong City University, où il étudie les formes d’activismes agricoles et les modèles de fermes alternatifs. « Quelles formes locales d’agriculture peuvent être développées dans le contexte global de la biopolitique et du néolibéralisme ? » Pour répondre à cette question, Michael Leung rencontre en Asie et en Europe des collectifs paysans, agriculteurs et militants, qui s’appliquent à « libérer la terre » par des projets de réappropriation solidaire du territoire : Z.a.d., chantiers participatifs, coopératives paysannes, trocs de semences, transformation de friches périurbaines en oasis agricoles….Un panorama de communautés et d’initiatives émancipatoires, qu’il collecte et documente sous formes de textes, dessins, plans à vocation pédagogique. Ressources disponibles sur son site internet (www.studioleung.com) *(image) Dessin de Michael Leung qui illustre les six collectifs qu’il a rencontré. La Roche du lion au fond symbolise le mouvement social et démocratique à Hong Kong.
RECIT DE RESISTANCE ALIMENTAIRE 3
Gustavo NAGIB, Géographe doctorant en géographie urbaine à São Paulo.
Géographe de la ville et de ses dynamiques agricoles, Gustavo porte dans le cadre de son doctorat, un regard croisé sur le fonctionnement des jardins partagés de Paris et São Paulo, et le militantisme qui les sous-tend. Contrairement à d’autres mégalopoles, São Paulo a conservé une ceinture maraichère périurbaine dédiée à l’alimentation de la population. La question de la résilience alimentaire en ces temps de crise sanitaire passe, comme en France, par des initiatives de collectifs ou associations visant à s’approvisionner directement auprès des producteurs de la région, tout en leur proposant des alternatives pour écouler leur production. Ces dernières années au Brésil, l’agriculture urbaine a permis de développer l’agro-écologie. Mais si le climat permet une abondance et une grande variété de fruits et légumes, l’accès limité de la population à ces derniers pour motif économique, et l’utilisation massive de pesticide restent deux problèmes majeurs. Si les jardins partagés restent trop minoritaires pour y répondre, ils permettent néanmoins de remettre en question la mainmise des firmes agroalimentaires sur l’alimentation en milieu urbain, avec un esprit militant propre à ces espaces, que l’on retrouve dans de nombreuses autres villes-monde. *(image)Deux jardins partagés, Horta das Corujas à São Paulo et Potager des Oiseaux dans le 3ème arrondissement à Paris.
RECIT DE RESISTANCE ALIMENTAIRE 4
Sébastien MOIREAU, co-fondateur du supermarché coopératif Les Grains de Sel (Paris 13e).
Se rendre dans un supermarché peut-il devenir un acte politique ? « Penser global, agissons local », Sébastien entend bien mettre son grain de sel pour encourager une reprise en main par les consommateurs de chaque étape de la chaîne agro-alimentaire. Il nous a expliqué les principes fondateurs de ce supermarché ouvert en 2019, qui marque la naissance d’un nouveau type de structures en rupture avec le système actuel de la grande distribution. En lien avec des groupes militants du 13e Sébastien a co-fondé ce supermarché coopératif qui repose sur la solidarité de ses sociétaires – regroupant producteurs et consommateurs – , le partage de valeurs fortes (défense du vivant, aide aux populations démunies) et sur une volonté de s’émanciper des modes de production et de consommation. Pensés dans une vision holistique, les objectifs majeurs sont de permettre à tous un accès à une alimentation dans le respect du vivant, en s’affranchissant des méthodes néolibérales et d’offrir une plateforme d’éducation populaire. Comprendre notre système politique, économique et financier est en effet la clé que peu d’entre nous maîtrise pour pouvoir proposer des alternatives solides et s’émanciper de la grande distribution. Grains de sel propose ainsi un programme d’ateliers, conférences, projections organisés par les sociétaires eux-mêmes dans une démarche de valorisation de leur champ d’expertise. Différentes actions sont également en cours, allant du projet d’agriculture urbaine à but productif, au coaching pour les personnes sans emploi, la création d’une web tv ou encore un projet d’investissement dans un groupe foncier agricole pour assurer des réseaux d’alimentation directs.
Durant la crise covid Grains de sel se mobilise aussi pour répondre à l’urgence: fabrication de masques, crédits alimentaires, point de collecte pour les associations du quartier etc. Si devenir coopérateur vous intéresse, tout est expliqué sur le site.
RECIT DE RESISTANCE ALIMENTAIRE 5
Jean-Daniel SENESI – De l’autosuffisance alimentaire aux Açores
Cette semaine, Jean-Daniel Senesi, metteur en scène et chanteur d’opéra, parti s’installer aux Açores sur un mode d’autosuffisance alimentaire et énergétique, nous parle du processus de (re)connexion à la terre et au vivant. Sur l’ïle de Pico, l’une des neuf îles de l’archipel, c’est sur un terrain d’environ 10 000 m² au bord de l’océan, aménagé en verger et potager, que Jean-Daniel vit depuis deux ans. Il en tire la majeure partie de ses ressources, en écosystème avec la population des alentours. Pour Jean-Daniel vivre en autosuffisance est avant tout un moyen de se reconnecter avec la nature plus qu’une fin. Ce mode de vie est à la portée de n’importe qui, c’est au final beaucoup de bon sens et croire que c’est possible. Il s’agit avant tout d’aborder la nature dans une dimension pratique et pas seulement théorique. Jean-Daniel invite lui à mettre les mains dans la terre pour s’ancrer dans une image plus tangible de la nature et être en communion avec le vivant. Ainsi on parvient à défaire la vision ontologique et idéalisée de la nature, qui est dangereuse car elle conduit à faire de la nature une vue de l’esprit. Pour y parvenir, le rapport à l’animal est également très important car il nous recentre en tant que membre de l’écosystème, et nous permet de sortir de cette vision utilitariste et anthropocentrique de la nature. Au final, l’autosuffisance telle que la pratique Jean-Daniel est avant tout un mode de vie qui véhicule l’idée d’une nature comme partenaire. De quoi repenser notre relation au vivant !
RECIT DE RESISTANCE ALIMENTAIRE 6
Arnaud DALIBOT, fondateur de @mure_restaurant , écosystème composé de 2 restaurants à Paris et d’une ferme en Île de France. Après 13 ans au sein d’un groupe de luxe, dont de nombreuses années à l’étranger, l’envie de faire naitre un projet mettant en équation l’aspect économique, écologique et sociale a poussé Arnaud à se lancer, en commençant par l’ouverture d’un premier restaurant –cantine d’inspiration végétale, qui pourrait ensuite servir de locomotive pour créer une ferme bio. Après une recherche de terrain difficile du fait du peu de parcelles disponibles à l’achat pour le maraîchage en Île de France, Arnaud a confié à Marie la création et la gestion de la ferme destinée à alimenter le restaurant. L’historique de consommation de fruits et légumes fourni par le restaurant au moment de la création de la ferme a permis d’établir un premier plan de culture plus précis. Aujourd’hui, une quasi-autosuffisance en légumes est atteinte (sauf pour les pommes de terre et carottes !), fournissant une base pour les 300 repas quotidiens servis chez Mûre. Les cuisiniers discutent avec la chef de culture, il faut juste s’assurer que tout est bien coordonné nous dit Arnaud, et cet écosystème fonctionne, avec des pertes proche de zéro et un équilibre financier aujourd’hui atteint. Quand au projet de livre édité il y a peu, cela vient à la fois de clients désireux de connaître les recettes, et de l’envie de raconter l’histoire de Mûre sous forme d’un livre de recettes, dans l’idée que si cela peut inspirer ne serait-ce que le projet de vie d’une personne, c’est déjà ça !